Aménagement et décroissance territoriale, vers une approche transfrontalière

Exemple des espaces transfrontaliers du nord-est de la France
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Présentation du terrain d'étude

La perte en population est aujourd'hui une réalité de l’espace communautaire (Oswalt, 2006 ; Turok et Mykhnenko, 2007 ; Baron et al., 2010). Cette réalité démographique fait de l'Union européenne un terrain privilégié d'analyse des diversités des manifestations spatiales, des représentations et des réponses politiques portées à la décroissance. Mais malgré un intérêt renouvelé porté au processus de décroissance depuis le début des années 2000, le croisement des deux corpus scientifiques "frontière" et "décroissance" est absent de la recherche actuelle (Morel-Doridat et Hamez, 2019). Les opportunités de recherches sont pourtant nombreuses. Premièrement parce que l’espace transfrontalier est défini comme le lieu d’interculturalité permise par le rapprochement de cultures nationales différentes (Renard, 1992 ; Groupe de travail aménagement du territoire UniGR-CBS et al., 2018) dont celles de l’aménagement (Knieling et Othengrafen, 2015). Ensuite, de part et d’autre des frontières nationales, des échanges et des transferts se réalisent favorisés par l’ouverture des frontières nationales (discontinuités) et l’hétérogénéité des systèmes politico-administratifs, plus favorables d’un côté de la frontière. Ces différences de voisinage sont lisibles dans les dynamiques démographiques des territoires à la frontière (de Ruffray et al., 2011), et alimentent, au fil des migrations, le processus de décroissance. Dans un même temps, les acteurs de l’aménagement peuvent ou non coopérer et partager leurs pratiques. Les espaces transfrontaliers apparaissent alors comme des observatoires de bonnes et de mauvaises pratiques en termes de gestion d’un même enjeu d’aménagement. Parmi les espaces transfrontaliers européens, ceux du nord-est de la France, au contact avec les espaces wallons, luxembourgeois, allemands et suisses présentent un intérêt notable (cf. Carte).

En plus de la diversité des situations nationales, cet espace est confronté à des défis communs les rapprochant. Bien que le manque de culture commune soit souvent exposé par les chercheurs (Crenn et Deshayes, 2010), l’histoire industrielle, en particulier charbonnière, sidérurgique et minière (CGET, 2017), est au cœur de ce passé partagé. Par ailleurs, ces espaces sont confrontés au processus de désindustrialisation depuis le milieu des années 1960. Néanmoins, la gestion de la crise du secteur secondaire n’a pas été homogène dans l’espace transfrontalier. Alors que certaines régions peinent à se diversifier économiquement et à sortir de la spirale de la crise structurelle telles les anciennes régions françaises du Nord-Pas-de-Calais et de Lorraine ou encore le Land de Sarre, d’autres, au contraire, sont des moteurs de l’économie régionale et transfrontalière, à l’instar du Luxembourg (Pereira Carneiro Filho, 2012).

L’espace transfrontalier du nord-est de la France offre également la possibilité d’analyser conjointement des espaces fortement urbanisés et d’autres aux plus faibles densités de population, davantage présents en France, en Wallonie (Belgique) et en Rhénanie-Palatinat (Allemagne). En outre, ces espaces sont marqués par une diversité de leurs situations démographiques. Alors que la Belgique, le Luxembourg et la Suisse gagnent en population, les espaces ruraux et périphériques français ainsi que les anciennes régions industrielles allemandes et françaises perdent en population de manière constante, cela depuis les années 1970-1980 (Eurostat). De ce fait, cet espace est le lieu de réelles dialectiques croissance-décroissance économique et démographique, cadres privilégiés d’une étude de la décroissance territoriale (Turok et Mykhnenko, 2007 ; Pallagst et al., 2009 ; Großmann et al., 2013).



L’intégration d’une dimension transfrontalière dans l’étude du processus est d’autant plus actuelle que certaines régions institutionnalisées de coopération transfrontalière s’intéressent aux problématiques d’aménagement et de développement des territoires. La Grande Région, qui s’est lancée dans une démarche d’élaboration d’un Schéma de Développement Territorial (SDT-GR), intègre des perspectives orientées vers le processus de déclin démographique dans son volet « Espace » (Présidence luxembourgeoise du 11e Sommet de la Grande Région, 2009), en est un exemple.

L’espace d’étude finalement choisi ne prend pas en compte l’ensemble des territoires régionaux frontaliers au nord-est de la France comme en témoigne la carte précédente. Son importante superficie (291 348 km² pour 55,5 millions d’habitants) amène à la présence de territoires parfois en déconnexion avec des problématiques transfrontalières. Afin de prendre en compte un nombre maximum de territoires en relations transfrontalières, en termes démographiques, économiques ou de flux de travailleurs, le choix s’est porté sur une distance-temps de 90 minutes en voiture, depuis la frontière française (UMS RIATE et al., 2008). Cette distance-temps a été établie à partir de celle de 60 kilomètres à vol d’oiseau, de part et d’autre de la frontière française, utilisée par Sophie De Ruffray et ses collaborateurs en 2011. Préférer ici une distance temps à une distance euclidienne permet de donner une dimension plus fonctionnelle à l’espace d’étude par la prise compte des réseaux de transport et de l’accessibilité aux territoires.

Seuls les territoires compris dans cette écharpe de 90 minutes à la frontière allant de Dunkerque à Genève ont été sélectionnés. Ne pas l’étendre au-delà de la ville de Genève s’appuie sur des caractéristiques topographiques défavorables aux flux transfrontaliers qui se trouvent alors limités. Le niveau spatial de base de l’analyse est l’échelon local harmonisé. Il offre un maillage proche des communes belges, plus grand maillage communal présent dans la zone d'étude (cf. Webmapping) et permet d'éviter les biais statistiques liés à l'effet MAUP.


Panneau des villes jumelées à Forbach (France)

L’espace d’étude a ensuite été affiné. Après plusieurs tests statistiques et cartographiques, trois espaces prometteurs ont été identifiés, à la base d’un travail de terrain et d’analyses quantitatives :

  • les villes jumelées de Forbach et Völklingen, situées dans la même agglomération transfrontalière entre la Sarre (Allemagne) et la Moselle (France), toutes deux confrontées à un processus structurel,

  • la commune urbaine de Pirmasens (Rhénanie-Palatinat, Allemagne) (numéro 3), touchée par un processus durable de perte en population depuis l’arrêt de son industrie de la chaussure. Alors même qu'elle cherche un second souffle, sa situation frontalière au Pays de Bitche (numéro 4), zone rurale mosellane confrontée aux restructurations militaires et à la désindustrialisation (cristallerie), ne lui permet pas de bénéficier d'une dynamique démographique et économique de voisinage favorable,

  • les communes de Longwy (Meurthe-et-Moselle, France) et d’Aubange (Wallonie, Belgique), certes un temps impactées par la crise sidérurgique, qui connaissent depuis une quinzaine d’années, une relance démographique. Cette situation favorable tient essentiellement de leur localisation géographique au point de contact avec le Grand-Duché de Luxembourg, très attractif grâce, notamment, à la puissance de son secteur financier et bancaire.

  • Bibliographie



    BARON Myriam, CUNNINGHAM-SABOT Emmanuèle, GRASLAND Claude, RIVIERE Dominique, HAMME Gilles Van, 2010, Villes et régions européennes en décroissance, maintenir la cohésion territoriale, Lavoisier, Paris, Hermès, 368 p.

    CGET, 2017, « Mission sur la gouvernance du nord lorrain ».

    CRENN Gaëlle, DESHAYES Jean-Luc, KMEC Sonja, COLLECTIF, 2010, La construction des territoires en Europe : Luxembourg et Grande Région : avis de recherches, Presses Universitaires de Nancy, 244 p.

    DE RUFFRAY S., HAMEZ G., GRASLAND C., LAMBERT N., HAMM A., 2011, « Enjeux des territoires frontaliers à l’échelle nationale », Rapport pour l’UMS2414 RIATE et la DATAR.

    GRASLAND Claude, 1997, « À la recherche d’un cadre théorique et méthodologique pour l’étude des maillages territoriaux », Communication présentée aux Entretiens Jacques Cartier.

    GROßMANN Katrin, BONTJE Marco, HAASE Annegret, MYKHNENKO Vlad, 2013, « Shrinking cities: Notes for the further research agenda », Cities, 35, p. 221‑225.

    GROUPE DE TRAVAIL AMENAGEMENT DU TERRITOIRE UNIGR-CBS, BECHTOLD Joshua, CAESAR Beate, CRISTMANN Nathalie, DORKEL Nicolas, EVRARD Estelle, HEINEN Susanne, MOREL--DORIDAT Frédérique, REICHERT-SCHICK Anja, 2018, « L’aménagement du territoire transfrontalier en pratique : Réflexions pour un dialogue entre chercheurs et praticiens de la Grande Région », Policy Paper, Université de la Grande Région.

    KNIELING Joerg, OTHENGRAFEN Frank, 2015, « Planning Culture—A Concept to Explain the Evolution of Planning Policies and Processes in Europe? », European Planning Studies, 23(11), p. 2133‑2147.

    OSWALT Philipp, 2006, Shrinking Cities: Volume 1: International Research, Ostfildern-Ruit Germany : New York, Hatje Cantz Publishers, 736 p.

    PALLAGST Karina, SCHWARZ Terry, POPPER Frank J., HOLLANDER Justin B., 2009, « Planning Shrinking Cities », ResearchGate, 72(4), p. 37.

    Présidence luxembourgeoise du 11e Sommet de la Grande Région, 2009, « Le développement et la planification territoriale au niveau de la Grande Région », Rapport d’activités du volet « ESPACE » - Programme de travail de la présidence luxembourgeoise du 11e Sommet, Luxembourg, Ministère de l’Intérieur et de l’Améngement du Territoire, Direction de l’Aménagement du Territoire (DATer).

    RENARD Jean-Pierre, 1992, « Populations et frontières : problématiques et méthodes », Espace, populations, sociétés, 10(2), p. 167‑184.

    ROTH Hélène, 2016, « Du déclin à la périphérisation : quand les courants constructivistes et critiques revisitent les différenciations spatiales en Allemagne », Cybergeo : European Journal of Geography.

    TUROK Ivan, MYKHNENKO Vlad, 2007, « The trajectories of European cities, 1960–2005 », Cities, 24(3), p. 165‑182.

    UMS RIATE, GEOGRAPHIE-CITES, LIG, IGEAT, UNIVERSITE D’UMEA, DEPARTEMENT DE SCIENCES SOCIALES - UNIVERSITE DE NAPLES « L’ORIENTALE », L’UNIVERSITE DE NAPLES, CUGUAT-TIGRIS, 2008, « Régions en déclin : un nouveau paradigme démographique et territorial ».

    VIGANI Aurelio, 2011, « Transports, frontières et développement territorial de la Region Insubrica », in Mobilités et développement transfrontalier, Éditions Alphil-Presses Universitaires Suisses, Neuchâtel, Société neuchâteloise de géographie et l’Institut de Géographie de l’Université de Neuchâtel, Géo-regards : revue neuchâteloise de géographie, p. 95‑111.